Petit cadeau.
Small Change - Tom WaitsUne fois de plus, introduisons cette chronique par la pochette. Cette fois-ci, je dis bravo. De l'art. Tom Waits posé tel un loup garou, entouré de fumée de cigarettes, de strip-teaseuse, dans une sombre loge glauque et sordide. L'univers de l'homme est retracé.
Tom Waits, c'est la décadence. Une voix hors norme. Un personnage hors norme. Exhubérant et introspectif, autiste et extraverti, provocateur et dépréssif.
Small Change est un des premiers grands albums de Tom Waits, bien que l'homme soit très créatif.
Il s'ouvre sur un chef d'oeuvre. Tom Traubert's Blues. Magnifique plan de piano, délicat, sombre aussi. Sur lequel vient se poser la voix de Tom. Sorte de récital guttural digne de Leonard Cohen pour les textes et la tristesse. Une intro qui en impose enormement. Et on imagine mal à quoi peut ressembler la suite. Après une entrée telle.
Et bah, pas de baisse de niveau, avec Step Right Up. Basse jazzy, groove énorme. Parce que Tom Waits, c'est du jazz, en fait. Un petit saxo intervient. Toujours ce côté décadent, bancale, emprunté au jazz, qui rend le tout imprévisible. Comme sur Jitterbug Boy, où le piano est complètement bancale par rapport à la voix. Ce qu'il utilise beaucoup, le bougre.
Même recette pour la suite, I Wish I Was In New Orleans. Titre très explicite. New Orleans étant un berceau du jazz. Profonde mélancolie décadente. Et cette voix, bordel, cette voix. Ce truc qui sort d'une bouche, qui vient du plus profond des entrailles, et qui prend l'auditeur aux tripes. A la gorge aussi. On peut pas respirer, on écoute. Subjugué.
La suite est un hymne, une sorte de "Too Drunk to Fuck". "The Piano Has Been Drinking (not me)", où Tom imite (?) le type bourré. Chanson de depravé, pronant la débauche.
Puis un petit blues, avec "Invitation to the Blues". Chapeau vissé sur la tête, air embrumé, comme sur la pochette, déchéance totale.
Pasties & G-String. Bobby McFerrin est pas loin, enchainement des mots presque hip hop, sur percussions haletantes. Ca l'fait.
Les instruments phares du jazz sont utilisés énormement, le saxophone sur Small Change, la contrebasse partout. Le tout contribue à l'ambiance véritable du disque, avec, ça va de soi, la voix de sir Tom Waits.
L'album se termine sur le "I Can't Wait to get off work", sorte de titre à la Randy Newman, cynique et mélancolique mélodiquement. Moqueur presque. Comme l'album entier, en fait.
Une énorme ironie et beaucoup de recul sur lui-même, ses vices surtout.
Small Change est un monument que seul Tom Waits pouvait faire. De la musique inégalable que seul lui peut oser tenter faire. Le groove du jazz, la mélancolie de la musique américaine, une voix hors norme. Une atmosphère digne des club de jazz de l'entre deux guerre, avec Boris Vian planqué dans un coin attendant de sortir sa trompette, de la fumée qui embrume le lieu, un type au loin, penché sur son piano, qui a trop bu, une veste en velours marron posée sur les épaules, un chapeau de feutre, mal coiffé, mal rasé, avec une voix aussi embrumé que l'air du club.
Small Change, c'est ça.
Tracklist
1. Tom Traubert's Blues
2. Step Right Up
3. Jitterbug Boy
4. I Wish I Was in New Orleands
5. The Piano Has Been Drinking (not me)
6. Invitation to the Blues
7. Pasties and a G-String
8. Bad Liver and a Broken Heart
9. The One That Got Away
10. Small Change
11. I Can't Wait to Get Off Work